Peut-on consommer de l’alcool au travail ?
La consommation d’alcool en milieu professionnel constitue une problématique à la fois récurrente et sensible. Les occasions ne manquent pas : pots de départ, repas d’affaires, fêtes de fin d’année, etc… Ces moments, souvent perçus comme des moments de convivialité, contribuent au renforcement de la cohésion sociale et à l’entretien d’un climat de travail agréable.
Néanmoins, cette convivialité ne doit pas occulter les risques inhérents à la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Outre les dangers immédiats pour la sécurité des salariés, l’alcool peut être source d’accidents, de dégradations ou encore de conflits. Sur le plan juridique, il engage également la responsabilité de l’employeur, tenu de protéger la santé et la sécurité de l’ensemble de ses collaborateurs.
Dès lors, il importe de déterminer ce que la loi autorise, quelles obligations pèsent sur l’employeur, et dans quelle mesure celui-ci peut limiter ou interdire la consommation d’alcool dans son enceinte.
Le cadre légal applicable à l’alcool en entreprise
La loi pose le principe selon lequel : « Aucune boisson alcoolisé autre que le vin, la bière, le cidre et le poiré n’est autorisée sur le lieu de travail ». Cette disposition vise à concilier deux impératifs :
1) Préserver un certain espace de convivialité dans la vie professionnelle ;
2) Tout en interdisant l’introduction et la consommation de boissons fortement alcoolisées, jugées particulièrement dangereuses pour la santé et la sécurité au travail.
Ainsi, seuls les alcools dits « légers » sont tolérés, et ce dans un cadre strictement limité. L’organisation d’événements internes est possible, mais l’employeur ne peut en aucun cas autoriser la consommation de spiritueux.
Cette réglementation traduit la volonté du législateur de prévenir les dérives liées à l’alcoolisation excessive en milieu professionnel, sans pour autant proscrire totalement des pratiques sociales ancrées dans le fonctionnement de nombreuses entreprises.
L’obligation de santé et de sécurité de l’employeur
L’article L.4121-1 du Code du travail impose à l’employeur une obligation générale de sécurité. Il doit prendre « les mesures nécessaires pour assurer la sécurité et protéger la santé physique et mentale des travailleurs ». Cette obligation est une obligation de moyen renforcée : il ne suffit pas d’affirmer avoir agi avec prudence, il faut démontrer que toutes les mesures de prévention raisonnablement possibles ont été mises en place.
Concrètement, cela signifie que l’employeur doit, en outre :
- Encadrer les pratiques collectives telles que les pots ou repas d’entreprise en veillant à ce que les boissons proposées soient conformes à la réglementation et consommées avec modération ;
- Anticiper les risques d’accident liés à la conduite ou à l’utilisation de machines par un salarié sous l’emprise de l’alcool suite à un événement ;
- Former et sensibiliser les équipes sur les risques liés à l’alcoolisation au travail, afin de favoriser une culture de prévention ;
- Mettre en place des procédures d’intervention en cas de situation problématique.
En négligeant ces obligations, l’employeur s’expose à des sanctions civiles, voire pénales en cas d’accident du travail imputable à l’alcoolisation d’un salarié.
Les possibilités de limiter ou d’interdire la consommation d’alcool
Le droit reconnaît à l’employeur le pouvoir d’édicter des règles internes adaptées à la nature de son activité, notamment par la voie du règlement intérieur.
A titre de rappel, la rédaction d’un règlement intérieur est obligatoire dès lors que l’entreprise emploie au moins 50 salariés. En revanche, elle conserve la faculté d’en mettre un en place quand bien même elle n’atteindrait pas ce seuil.
De cette manière, l’employeur peut restreindre, voire interdire totalement, la consommation d’alcool sur le lieu de travail. Cette interdiction doit cependant respecter deux conditions cumulatives :
1) Être formalisée soit dans le règlement intérieur, soit par une note de service ;
2) Être justifiée par la nature du travail effectué : une interdiction généralisée serait considérée comme disproportionnée si aucun risque particulier n’existe. En revanche, pour les postes sensibles, une interdiction totale est non seulement légitime mais également nécessaire.
A ce titre, la jurisprudence rappelle régulièrement qu’une une interdiction générale et absolue de l’alcool dans une entreprise ne peut être licite que lorsqu’elle est indispensable à la protection de la santé et de la sécurité des salariés.
La responsabilité de l’employeur en cas de manquement
En cas d’accident du travail ou d’incident imputable à l’état d’ébriété d’un salarié durant son temps et sur son lieu de travail, la responsabilité de l’employeur peut être engagée.
Il est donc dans l’intérêt direct de l’employeur d’instaurer une politique claire en matière d’alcool au travail, de la formaliser et de la faire respecter.
Pour conclure...La consommation d’alcool en milieu professionnel est encadrée par un équilibre délicat entre convivialité et sécurité. Si le Code du travail autorise certains alcools faiblement dosés dans des circonstances limitées, il impose à l’employeur une vigilance constante et une responsabilité juridique lourde. Celui-ci doit encadrer strictement les pratiques collectives, limiter les risques liés aux postes sensibles et, le cas échéant, prononcer une interdiction totale lorsque les conditions de sécurité l’exigent.
En définitive, l’alcool au travail n’est pas seulement une question de tolérance sociale, mais bien une problématique juridique et organisationnelle majeure à ne pas négliger.
SOURCES :
□ Article L.1311-2 du Code du travail sur le seuil pour la mise en place obligatoire d’un règlement intérieur ;
□ Article L.4121-1 du Code du travail sur l’obligation de santé et de sécurité de l’employeur ;
□ Article R.4228-20 du Code du travail sur la consommation d’alcool dans l’entreprise ;
□ Arrêt de la Chambre sociale du 25/11/2015 (14-24.444) sur l’obligation de sécurité de moyen renforcée de l’employeur ;
□ Décision du Conseil d’Etat du 12/11/2012 (349365) sur l’illicéité d’une interdiction générale et absolue de consommation d’alcool en l’absence de risque afférent.









