Compte pénibilité : la CAPEB réaffirme son opposition totale au dispositif

Le Conseiller Maître à la Cour des Comptes, Michel de Virville, a rendu son rapport sur la mise en œuvre du compte pénibilité. Depuis la présentation de son pré-rapport, fin mars, ses recommandations ont évoluées face à l’opposition ferme et partagée du patronat pour tenter d’alléger le dispositif. Il n’empêche, la gestion de ce compte reste, à ce stade, totalement inapplicable dans les petites entreprises et source de conflits sociaux extrêmement difficiles à gérer en interne.
Un coût supplémentaire pour les entreprises
Cerise sur le gâteau, la mise en place de ce dispositif génèrera de nouvelles charges financières pour les entreprises, et en particuliers celles du bâtiment, trèsé concernées par les facteurs de pénibilité décrits par la loi. Même si les incessantes interventions de Patrick Liébus auprès des membres du Gouvernement et des cabinets ministériels ont permis de réduire considérablement les taux envisagés initialement, et de reculer leur entrée en application, les entreprises auront quand même une nouvelle charge à supporter. Les discussions ont ainsi permis d’obtenir une exonération pour 2015 et le paiement de la seule surcotisation à compter de 2016 et ce taux, initialement prévu entre 0,6 % et 1,6 % de la masse salariale, devrait être limité à 0,1 %.
La cotisation générale d’environ 0,2 % de la masse salariale ne serait appelée qu’après 2017
C’est un mauvais signe pour l’emploi et un frein nouveau aux intentions d’embauches. En outre, si nous avons réussi, aujourd’hui, à réduire les taux à leur portion congrue, rien n’exclut la possibilité de leur relèvement ultérieur. Quand la machine est en marche, il n’est guère possible de l’arrêter ! D’autant que ce compte pénibilité est l’une des mesures emblématiques de la dernière réforme des retraites.
Une gestion administrative totalement impraticable
Michel de Virville a manifestement un peu tenu compte des cris d’alarme des professionnels mais ces propositions font néanmoins figure de colmatage et ne retirent rien de la complexité du dispositif et de ses conséquences sur les petites entreprises en termes de responsabilité.
La CAPEB s’était élevée contre un décompte mensuel des points et nous avons convaincu le Conseiller de l’impossible gestion d’un tel dispositif dans les petites entreprises. M. de Virville préconise désormais une annualisation du décompte des durées d’exposition et l’établissement par l’employeur d’une moyenne sur l’année. Mais au fond, qu’est-ce que cela changera réellement ? rien. L’employeur devra toujours comptabiliser les durées d’exposition au fur et à mesure pour en faire la synthèse en fin d’année. Le principe même de ce compte personnel suppose un suivi permanent des salariés concernés. Cette gestion que l’on veut ainsi imposer aux artisans est aux antipodes de leur compétitivité. On affirme vouloir baisser les charges des entreprises et simplifier les démarches administratives et que fait-on ? exactement l’inverse !
M. de Virville préconise également d’adapter les logiciels de gestion de paie pour qu’ils permettent aux employeurs d’intégrer les durées d’exposition salarié par salarié, qu’ils génèrent automatiquement le versement de la cotisation et de la surcotisation correspondantes puis qu’il assure la transmission des données à la caisse de sécurité sociale. Ces nouveaux logiciels devraient même éditer directement les fiches de pénibilité… Il y a juste un problème : ces « supers logiciels » n’existent pas. Le rapport indique qu’ils devront être « formalisés avant le 1er juin 2015 », ce qui laisse un petit délai aux entreprises. Mais comment feront-elles d’ici là ? et qui supportera le coût d’adaptation des logiciels ?
Des seuils élevés et difficiles à mesurer
La question des seuils est évidemment déterminante puisqu’elle définit les salariés concernés par le dispositif et ceux qui ne le sont pas ainsi que le nombre de points qui doivent être attribués.
Le seuil de base a été fixé à 900 heures par an, par exemple pour les températures extrêmes dont le plancher a é été fixé à moins de 5° et le plafond à plus de 30°. Pour d’autres facteurs de pénibilité, ce seuil sera de 600 h. Ce sera le cas pour le bruit et pour le port de charges supérieures à 15 kilos. Pour les vibrations, ce seuil est ramené à 450 h.
Les seuils varieront de 450 heures à 900 heures selon les facteurs de pénibilité
La mesure de la pénibilité pour les postures pénibles frise la sanction financière (seront concernés les salariés accroupis ou à genoux et ceux qui doivent mettre les bras au-dessus des épaules, c’est-à-dire une immense majorité de salariés du bâtiment) et même l’absurde :, ceux qui font une torsion du torse de plus de 30 ° et du torse fléchi de plus de 45° et pour l’ensemble de ces postures alternativement ou en cumul un temps de 900 h ! Bon courage aux employeurs qui devront observer si la position est à 25° ou à 30°, à 40 ou à 45° ! Si ce n’est pas un vrai délire administratif…
Si ces seuils sont dépassés, le salarié concerné disposera d’office de 4 points sur son compte, et 8 en cas d’exposition à plusieurs facteurs de pénibilité.
On imagine les calculs auxquels les employeurs devront se livrer…
Quant aux modalités pratiques et aux explications à donner aux entreprises, le rapport renvoie tout simplement aux branches le soin d’élaborer des modes d’emploi. Autrement dit, on nous renvoie la « patate chaude » !
Le risque de conflits avec les salariés demeure entier
Autre problématique irrésolue : la gestion des conflits sociaux au sein des entreprises. Les fiches seront transmises une fois par an aux salariés. 10 points permettront de valider 1 trimestre de retraite ou de bénéficier d’une réduction du temps de travail d’une même durée ou encore de financer une formation de 40 heures. Le risque de surenchère est aussi évident que le nez au milieu de la figure ! Si on avait voulu ruiner les efforts de paix sociale que font artisans du bâtiment, on ne s’y serait pas pris autrement ! Nous avons pourtant beaucoup alerté le Gouvernement à ce sujet. Il est malheureusement resté sourd à nos demandes.
Un mauvais coup porté à l’image des métiers du bâtiment
Le secteur déploie de gros efforts depuis des années pour redresser son image, notamment auprès des jeunes. Et voilà que sont définies, légalement, des activités réputées pénibles ! Comment lutter contre l’effet catastrophique de cette catégorisation sur l’attrait des métiers du bâtiment ? Ces activités vont être stigmatisées, mises à l’index alors qu’elles éprouvent déjà les pires difficultés pour recruter et que des milliers de jeunes n’ont pas d’emploi ! Au lieu d’instaurer cette injuste discrimination, il aurait été préférable de généraliser les actions de prévention et d’amélioration des conditions de travail déjà engagées par beaucoup de branches professionnelles et notamment celle du bâtiment.
Appel à la sagesse des gouvernants et des parlementaires
Les parlementaires auront-ils le courage de regarder la réalité en face ? sans compter que personne apparemment n’a songé au fait que les artisans du bâtiment sont soumis aux mêmes facteurs de pénibilité que leurs salariés et que cela ne leur permettra pourtant pas de partir à la retraite plus tôt !
Nous demandons, avec l’UPA, que le cadre législatif de ce compte pénibilité soit modifié et, au moins pour le moment, d’en reporter sa mise en œuvre. L’UPA a rédigé un courrier en ce sens à l’attention des parlementaires. Pour en prendre connaissance, cliquez ici.
Une table ronde sur le sujet serait en projet à l’Assemblée nationale. Nous avons demandé à y participer pour détailler aux parlementaires tous les aspects inapplicables et dangereux de ce dispositif.
Le Président Liébus n’a pas manqué de le faire très largement auprès de la presse mardi lors de la parution du rapport. Il est intervenu sur France 3, Europe 1 et LCI.
La prochaine étape est la soumission de ce rapport au Conseil de la Simplification le 19 juin. On se demande bien comment ce Conseil pourra ne pas y voir un modèle de complications !









